Covid 19 et loyers commerciaux

Suspension des mesures de sanction….

Dès le premier confinement, a été instaurée une suspension avec report du paiement de loyers commerciaux, mais uniquement au bénéfice de personnes physiques et morales de droit privé exerçant une activité économique susceptibles de bénéficier du fonds de solidarité sont visées (article 4 de l’ordonnance n°2020-306 du 25 mars 2020).

Ces dispositions interdisent l’exercice par le créancier de certaines voies d’exécution forcée pour recouvrer les loyers échus entre le 12 mars 2020 et le 23 juin 2020 mais ne suspendent pas l’exigibilité du loyer dû par le locataire commercial. (TJ Paris 18 ch., 2 sect. 10 juillet 2020 n° 20/04516 ; TJ Limoges le 16 septembre 2020 (RG n°20/00185)

Ce mécanisme de suspension a été repris et amélioré, pour le deuxième confinement à l’article 14 de la loi n° 2020-1379 du 14 novembre 2020. Il s’applique aux entreprises de moins de 250 salariés avec un chiffre d’affaires inférieur à 50 millions d’euros et une perte de chiffre d’affaires de plus de 50 % au titre du mois de novembre 2020 (décret n° 2020-1766, 30 décembre 2020). Selon ce texte « toute clause résolutoire ou prévoyant une déchéance en raison du non-paiement ou retard de paiement de loyers ou charges, à l’encontre des locataires pour retard ou non-paiement des loyers ou charges locatives est réputée non écrite ». 

A noter que dans une décision récente,  le juge des référés du tribunal judiciaire de Paris a retenu que la mesure de distanciation physique d’au moins un mètre entre deux personnes prévue par l’article 1er du décret n°2020-860 du 10 juillet 2020 constitue une mesure de police administrative permettant au preneur remplissant les autres conditions requises de bénéficier de la neutralisation de toute action ou sanction, conformément à l’article 14 de la loi n°2020-1379 du 14 novembre 2020.

Or, l’article 14 justifie à lui seul l’existence d’une contestation sérieuse (TJ Paris, réf. 21 janv. 2021, n° 20/55750).

Pour autant ces modalités de suspension ne bénéficient qu’’aux locataires éligibles selon le décret précité, et n’accordent qu’une protection temporaire.

Le juge de l’exécution a également participé à la protection des locataires en jugeant qu’en raison des circonstances exceptionnelles et indépendantes de la volonté des parties, « la force du principe de créance que le bailleur tire du contrat de bail n’est pas telle qu’elle justifie une mesure conservatoire sans autorisation judiciaire » (JEX Paris, 9 juill. 2020, n°20/80712)

et non de l’exigibilité du loyer

Les textes adoptés dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire ayant un champ d’application limité, les locataires ont recouru au droit commun des contrats, incités par les juges des référés.

Si les dernières décisions écartent la possibilité de motiver l’exigibilité des loyers échus en période de covid-19 sur le fondement de la force majeure ou de l’exception d’inexécution – dans un premier temps à tout le moins-, invoqués par le locataire, la bonne foi ou l’imprévision sont à privilégier pour renégocier les conditions financières du bail. Enfin, si la perte de la chose louée a été écartée dans un premier temps, elle semble pouvoir être revendiquée.

▪ La Cour de cassation l’avait déjà rappelé : la force majeure n’est pas de nature à empêcher l’exécution d’une obligation de payer (Cass. com., 16 sept. 2014, n° 13-20.306).

Cela est donc sans surprise que les locataires, s’étant aventurés sur ce terrain, n’ont pas été suivis par les juges (TJ Paris, ordonnance de référé, 17 juillet 2020, RG n°20/50920, TJ Paris ordonnances de référé du 26 Octobre 2020, TC Paris ordonnance de référé 11 décembre 2020 n° 2020035120). Le juge des référés du TC de Paris précisant que « « Si l’obligation de paiement qui pèse sur le preneur est certes rendue plus difficile par un évènement aussi contraignant que la Covid 19, celui-ci advient après d’autres épidémies récentes; de plus, il a été largement annoncé mondialement avant même la mise en œuvre de la réglementation sanitaire française concemant la fermeture temporaire des commerces non essentiels; en cela, ce phénomène ne peut être qualifié dimprévisible et donc assimilé à un cas de force majeure »

Enfin, une cour d’appel a pu rappeler que la force majeure doit être écartée également, le locataire ne justifiant pas de difficultés de trésorerie rendant impossible l’exécution de son obligation de payer les loyers, de sorte que l’épidémie n’a pas de conséquences irrésistibles. (CA Grenoble 5-11-2020 no 16/04533, D. c/ SAS Appart City)

▪ le rejet de l’exception d’inexécution puis le renvoi au juge du fond :

Après avoir retenu que :

  • Le contexte sanitaire ne saurait générer en lui-même un manquement à l’obligation de délivrance du bailleur (TJ Paris réf. 26 Octobre 2020)
  • Le locataire d’une résidence de tourisme ne peut pas invoquer l’exception d’inexécution dès lors que le bail commercial ne subordonnait pas le paiement des loyers à une occupation particulière des locaux ni à un taux de remplissage ; par ailleurs, il n’était pas établi que le bailleur avait manqué à ses obligations contractuelles, rendant impossible la location (CA Grenoble 5-11-2020 no 16/04533, D. c/ SAS Appart City).

Les juge des référés ont finalement retenu que constituent une contestation sérieuse :

  • la question de savoir si la résidence de tourisme exploitée par le locataire  était  bien concernée par l’interdiction de recevoir du public édictée par l’article 8 du décret du 24 mars 2020, justifiant la suspension du paiement des loyers pendant la période d’interdiction du 15 mars 2020 au 22 juin 2020,  et ce, en application de l’exception d’inexécution (TJ Paris, réf. 21 janv. 2021, n° 20/55750).
  • l’exception d’inexécution soulevée par le locataire assigné en paiement des loyers commerciaux puisqu’elle devait être étudiée à la lumière de l’obligation pour les parties de négocier de bonne foi les modalités d’exécution de leur contrat en présence des circonstances (TJ Aix-en-Provence, réf. 22 sept. 2020, n°20/00692 ; TJ Paris, réf. 8 janv. 2021 ),)

▪ la bonne foi consacrée

Le juge des référés semble donc accorder un répit aux locataires en renvoyant l’appréciation de la demande de suspension du loyer au regard devant le juge du fond.

Dès le 10 juillet 2020, le Tribunal judiciaire de Paris statuant, sur le fond, aux termes duquel il rappelle que si l’article 4 de l’ordonnance n°2020-306 du 25 mars 2020 n’a pas pour effet de suspendre le paiement des loyers et que le contrat de bail doit être exécuté de bonne foi par les parties.

Il semble donc évident que les juges s’attacheront à vérifier que le preneur mais aussi le bailleur ont bien tenté de trouver un accord pour apprécier du bien fondé de l’exigibilité des loyers.

▪ l’imprévisibilité pour réviser

Il appartiendra également aux juges du fond, sur le fondement du nouvel article 1195 du code civil, et pour les baux conclus postérieurement au 1er octobre 2016, d’apprécier souverainement de la nécessité d’appliquer le pouvoir de révision.

La porte a ainsi été ouverte par le juge des référés du TJ de Paris qui a jugé qu’ il revient au juge du fond de déterminer si le locataire peut s’appuyer sur les dispositions de l’article 1195 du code civil pour demander une adaptation du contrat (TJ Paris, réf. 21 janv. 2021, n° 20/55750).

Rappelons que selon cet article 1195 du code civil permet aux parties de renégocier le contrat, en cas de changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat. En cas d’échec de ces négociations, les parties peuvent opter pour la résolution ou saisir le juge afin qu’il révise le contrat ou y mette fin.

Il demeure néanmoins que cette disposition permet aux parties, liées par un bail postérieur au 1er octobre 2016, de négocier, et en cas d’échec au juge de saisir le juge, mais ne permet pas au locataire de s’exonérer du paiement des loyers exigibles.

▪ La perte de la chose louée à explorer ?

La perte de la chose louée pouvant justifier d’une diminution du prix ou de la résiliation du bail (article 1722 du code civil) peut-elle être invoquée par les locataires dont les commerces sont fermés par mesure administrative ?

Ces dispositions ne peuvent a priori être applicables dès lors l’empêchement de jouissance n’est pas définitif et ne résulte pas de la chose elle-même.

Le locataire ne peut se prévaloir de la perte de la chose louée pour se soustraire au paiement du loyer puisqu’il « pouvait toujours y accéder physiquement » (TC Paris réf. 11 décembre 2020 n° 2020035120).

Pourtant, dans une décision très récente, le juge de l’exécution du TJ de Paris a, pour refuser une saisie, retenu l’existence de « L’impossibilité juridique survenue en cours de bail, résultant d’une décision des pouvoirs publics, d’exploiter les lieux loués est assimilable à la situation envisagée (laquelle a pour effet de libérer le preneur de l’obligation de payer le loyer tant qu’il ne peut jouir de la chose louée) au texte ci-dessus reproduit, peu important à cet égard la clause de responsabilité invoquée par [le bailleur] (TJ Paris, JEX, 20 janvier 2021 20/80923).

Cette décision fera certainement l’objet d’un appel.

Si cette décision était confirmée, les bailleurs devraient ils renoncer aux loyers échus pendant les périodes de fermetures administratives ?

En l’état actuel, la seule certitude est que pour que les arguments soient entendus par les juges du fond, les parties devront justifier avoir fait preuve de bonne foi dans l’exécution du contrat. Les tribunaux devraient alors apprécier au cas par cas…