Jacques Séguéla a eu raison du docteur Knock !

Interdites depuis plus de soixante-dix ans par l’article R. 4127-19 du code de la santé publique au motif que la médecine ne doit pas être pratiquée comme un commerce, la publicité et la communication sont désormais libres.

Plusieurs décrets, parus le 24 décembre 2020, fixent les nouvelles règles relatives à la communication professionnelle pour six professions de santé : médecins (décret n° 2020-1662 du 22 décembre 2020), chirurgiens-dentistes (décret n° 2020-1658 du 22 décembre 2020), sages-femmes (décret n° 2020-1661 du 22 décembre 2020), infirmiers (décret n° 2020-1660 du 22 décembre 2020), pédicures-podologues (décret n° 2020-1659 du 22 décembre 2020), et masseurs-kinésithérapeutes (décret n° 2020-1663 du 22 décembre 2020).

Le pouvoir règlementaire a dès lors pris acte des recommandations du Conseil d’Etat et de la Cour de justice de l’Union européenne.

En effet pour rappel, cette dernière avait considéré que l’article 56 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, qui interdit les restrictions à la libre prestation des services, doit « être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une législation nationale (…) qui interdit de manière générale et absolue toute publicité relative à des prestations de soins buccaux et dentaires » (CJUE, 4 mai 2017, Vanderborght, aff. C-339/15). 

Egalement, elle avait ajouté que l’article 8 de la directive 2000/31/CE du 8 juin 2000, relative au commerce électronique, doit « être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale (…) qui interdit de manière générale et absolue toute publicité des membres de la profession dentaire, en tant que celle-ci leur interdit tout recours à des procédés publicitaires de valorisation de leur personne ou de leur société sur leur site Internet » (CJUE, ordonnance, 23 octobre 2018, Conseil départemental de l’ordre des chirurgiens-dentistes de la Haute-Garonne, aff. C-296/18).

Par suite, le Conseil d’Etat, saisi de deux recours pour excès de pouvoir contre deux décisions implicites par lesquelles la ministre des solidarités et de la santé a rejeté les demandes d’abrogation des dispositions réglementaires interdisant le recours à la publicité pour les médecins et chirurgiens-dentistes (articles R. 4127-19, R. 4127-215 et R. 4127-225 du code de la santé publique), a confirmé la non-conformité de cette interdiction générale et absolue au droit de l’Union européenne (CE, 4ème et 1ère chambres réunies, 6 novembre 2019, nos 416948 et 420225).

En conséquence, les dispositions interdisant la publicité des professionnels de santé devaient être abrogées et les sanctions prononcées par le Conseil de l’ordre des médecins sur ce motif étaient illégales. Il appartenait donc au pouvoir règlementaire de redéfinir les règles régissant la publicité des professionnels de santé.

Que prévoient ces nouvelles règles ?

Si l’interdiction de pratiquer la médecine comme un commerce demeure à l’article R. 4127-19 du code de la santé publique, le principe d’interdiction de publicité cède désormais sa place à celui de libre communication et de publicité. Les professionnels de santé sont donc libres de communiquer, mais uniquement à des fins informatives et jamais commerciales.

Plusieurs évolutions peuvent être soulignées.

  • La communication sur son activité, ses compétences et son parcours

Le professionnel de santé peut communiquer sur ses compétences, ses pratiques professionnelles, son parcours professionnel et les conditions de son exercice par tous moyens y compris sur un site internet, l’idée étant que cette information contribue au libre choix du praticien par le patient.

Aussi, le professionnel qui présente son activité au public doit y inclure une information sur les honoraires pratiqués, les modes de paiements acceptés et les obligations posées par la loi pour permettre l’accès de toute personne à la prévention ou aux soins sans discrimination. 

Cette communication est tout de même encadrée : elle doit rester loyale, claire, honnête et non comparative de sorte qu’elle ne doit pas faire appel à des témoignages des tiers, reposer sur des comparaisons avec d’autres médecins ou établissements et inciter à un recours inutile à des actes de prévention ou de soin. Enfin, elle ne doit pas porter atteinte à la dignité de la profession et induire le public en erreur (articles R. 4127-19-1 alinéa 1 et R. 4127-53 du code de la santé publique).  

  • La communication à des fins éducatives, scientifiques ou sanitaires

Le praticien peut communiquer au public ou à d’autres professionnels de santé, à des fins éducatives ou sanitaires, des informations scientifiquement étayées sur des questions relatives à sa discipline ou à des enjeux de santé publique.

Néanmoins, prudence et mesure sont de mises car les obligations déontologiques doivent être respectées et est exclu le fait de présenter des hypothèses non confirmées comme des données acquises de la science (alinéa 2 de l’article R. 4127-19-1 du code de la santé publique).

Il en est évidemment de même lorsque le professionnel participe à une action d’information du public à caractère éducatif, scientifique ou sanitaire.

Ces interventions ne doivent pas non plus avoir pour objectif d’en tirer profit dans son activité professionnelle, ni à en faire bénéficier la structure dans laquelle le professionnel de santé intervient, ni à promouvoir une cause qui ne soit pas d’intérêt général (article R. 4127-13 du code de la santé publique).

  • La communication dans les annuaires à l’usage du public

Les professionnels de santé peuvent élargir les informations figurant dans les annuaires à l’usage du public. Si avant, ces informations étaient strictement limitées à trois éléments (identité du professionnel, adresse professionnelle, jours et heures de consultation ; situation vis-à-vis des organismes d’assurance maladie ; qualification), les professionnels peuvent désormais y indiquer leurs spécialité, titres, diplômes et fonctions reconnus par le conseil national de l’ordre ainsi que « d’autres informations utiles à l’information du public ». 

Le décret ne précise pas ce qu’il faut entendre par cette dernière mention. Il appartiendra probablement au conseil national de l’ordre d’en apprécier la portée par des recommandations. Il ressort toutefois de l’idée générale des textes que ces informations sont notamment celles contribuant au libre choix du praticien par le patient.

Il reste pour autant prohibé au professionnel d’obtenir par n’importe quel moyen (comme une rémunération par exemple) un référencement numérique prioritaire dans les résultats d’une recherche internet (article R. 4127-80 du code de la santé publique).

  • La communication de l’installation ou de la modification de son exercice

Là où le code de déontologie précédent limitait le choix du support et donnait au conseil départemental de l’ordre un droit de regard préalable avant leurs publications, le professionnel sera désormais en mesure de communiquer sur tout support des annonces lors de son installation ou en cas de modification de son exercice. Le décret ne prévoit pas d’obligation de communication préalable au conseil départemental de l’ordre mais précisent que le professionnel devra tenir compte des recommandations émises par celui-ci (article R. 4127-82 du code de la santé publique). 

Si la médecine reste une profession singulière qui ne peut être exercée comme n’importe quelle autre activité commerciale, force est de constater que les règles régissant la publicité se sont considérablement assouplies.

Ces nouvelles dispositions, par leur précision, devraient permettre aux praticiens de mieux appréhender les possibilités en matière de communication et de publicité, et au public d’être mieux informer sur leur professionnel de santé, dans le respect des principes de confraternité, de dignité de la profession et de protection des patients.