L’intérêt général ne fait pas le service public … !

Par un arrêt du 30 décembre 2020, la première chambre du Conseil d’Etat a eu l’occasion de confirmer que si les actions médico éducatives en faveur des enfants handicapés constituent une mission d’intérêt général, les organismes privés gestionnaires les assurant ne sont pour autant pas chargés d’une mission de service public (CE, 1ère chambre, 30 décembre 2020, n° 435325).

En l’espèce, la Commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées (CDAPH) de Guyane avait orienté un mineur vers un institut médico-éducatif pour autistes. Il intègre dès lors, le 2 juillet 2014, l’institut Les Clapotis géré par l’association de personnes handicapées, des parents, et de leurs amis (ADAPEI) de Guyane.

Au regard des relations conflictuelles du père avec les salariés de l’établissement, la présidente de l’association suspend, le 3 novembre 2016, l’accueil de ce jeune de seize ans à titre temporaire. Son père introduit donc devant le tribunal administratif de la Guyane un référé puis un recours pour excès de pouvoir tendant à l’annulation de la décision de la présidente de l’association.

Le juge des référés admet d’abord que la situation est urgente au regard de l’absence de prise en charge de l’adolescent dans une structure adapté à son handicap depuis le 3 novembre 2016 ; il ordonne ainsi sa réintégration dans l’institut médico-éducatif. Puis, le juge du fond fait droit à sa demande et annule la décision de suspension.

Cependant, sur appel formé par l’association, le Conseil d’Etat, revient sur le jugement du tribunal administratif.

Ainsi, bien que les associations constituent la majorité des intervenants du secteur médico-social, ces deniers n’exercent pourtant pas de mission de service public.

Les actions médico-éducatives constituent une mission d’intérêt général…

L’article L. 312-1 du code de l’action sociale et des familles dispose que les établissements ou services d’enseignement assurant à titre principal, un éducation adaptée et un accompagnement social ou médico-social aux mineurs ou jeunes adultes handicapés ou présentant des difficultés d’adaptation sont des établissements et services sociaux et médico-sociaux.

Or l’ADAPEI de Guyane est une association qui œuvre dans le domaine médico-social et gère à ce titre l’institut médico-éducatif Les Clapotis qui accueille et accompagne des enfants et adolescents handicapés atteints de déficience intellectuelle.  

Le Conseil d’Etat rappelle que ces actions médico-éducatives en faveur des enfants handicapés constituent une mission d’intérêt général, et ce, qu’importe que l’activité soit gérée par une personne publique ou privée.

… mais ces actions ne revêtent pas le caractère d’une mission de service public si elles sont assurées par un organisme privé

Pourtant, il n’est pas exclu qu’un organisme de droit privé puisse être en charge d’un service public. Le législateur peut, expressément ou implicitement, reconnaitre l’activité de l’organisme comme un service public et, dans le silence de la loi, cette tâche appartient aux juges.

Or, depuis 2007, le Conseil d’Etat estime qu’ « il résulte toutefois des dispositions de la loi du 30 juin 1975, éclairées par leurs travaux préparatoires, que le législateur a entendu exclure que la mission assurée par les organismes privés gestionnaires de centres d’aide par le travail revête le caractère d’une mission de service public ». (CE, 22 février 2007, APREI, n° 264541).

Le juge des référés du Conseil d’Etat avait d’ailleurs repris récemment cette position. Saisi d’un référé-liberté aux fins d’obtenir l’admission d’une adulte handicapée dans un foyer d’accueil médicalisé déterminé, le juge des référés avait relevé que l’établissement dans lequel elle sollicitait son admission était géré par une personne morale de droit privé et qu’en conséquence, sa mission ne revêtait pas le caractère de mission de service public (CE, ordonnance, 26 mars 2019, n° 428371).

La première chambre du Conseil d’Etat réitère ainsi une jurisprudence bien ancrée en affirmant, de manière plus étayé que les jurisprudences précédentes, qu’ « il résulte toutefois des dispositions de la loi du 30 juin 1975 relative aux institutions sociales et médico-sociales et de la loi du 2 janvier 2002 rénovant l’action sociale et médico-sociale, éclairées par leurs travaux préparatoires, que le législateur a entendu exclure que la mission assurée par les organismes privés gestionnaires des établissements et services aujourd’hui mentionnés au 2° du I de l’article L. 312-1 du code de l’action sociale et des familles revête le caractère d’une mission de service public ».

Ainsi, il ressort de l’interprétation des textes par le juge que le législateur a expressément dénié la qualification de service public à toutes les personnes privées gestionnaires d’établissements et services sociaux et médico-sociaux.

Or, en l’espèce, l’institut médico-éducatif étant géré par une association déclarée loi 1901, elle ne pouvait être considérée comme assurant des missions de service public.

Quelle en est la conséquence ?

La principale conséquence de cette appréciation de ces textes législatifs repose sur l’incompétence de la juridiction administrative pour connaître des litiges relatifs à un organisme de droit privé gestionnaire d’établissement médico-sociaux.

Le critère de répartition de compétence des juridictions pour ces établissements n’était ainsi ni la reconnaissance du caractère d’intérêt général des missions que l’organisme exerce, ni la nature, publique ou privée, de l’organisme mais bien l’existence de missions de service public.