Manquement continu du bailleur : la Cour de cassation fixe le point de départ de la prescription de l’action en résiliation

« Les obligations continues du bailleur de délivrer au preneur la chose louée et de lui en assurer la jouissance paisible sont exigibles pendant toute la durée du bail, de sorte que la persistance du manquement du bailleur à celles-ci constitue un fait permettant au locataire d’exercer l’action en résiliation du bail. » (Cass. 3e civ., 10 juill. 2025, n° 23-20.491, publié au bulletin).

La troisième chambre civile de la Cour de cassation a rendu un arrêt de principe (n° 23-20.491) le 10 juillet 2025 qui est venu clarifier le point de départ du délai de prescription applicable à l’action en résiliation du bail commercial, lorsque celle-ci est fondée sur la violation continue des obligations essentielles du bailleur.

La prescription quinquennale et les obligations continues en matière de bail commercial

L’action en résiliation judiciaire, fondée sur le manquement contractuel, relève de la prescription quinquennale de droit commun (5 ans) prévue par l’article 2224 du Code civil. Elle n’est pas soumise au délai biennal spécifique du statut des baux commerciaux (article L. 145-60 du Code de commerce).

Aux termes de l’article 1719 du Code civil, le bailleur est tenu d’assurer la délivrance au preneur de la chose louée et de lui en garantir la jouissance paisible pendant toute la durée du bail. Ces obligations sont considérées comme continues.

L’arrêt de principe du 10 Juillet 2025:

En l’espèce, la locataire poursuivait la résiliation du bail aux torts exclusifs du bailleur, car celui-ci avait amputé d’un tiers l’assiette du bail en y construisant et louant un hangar à un tiers, entravant l’accès aux locaux.

La Cour d’appel de Colmar avait déclaré l’action partiellement prescrite, retenant que le délai avait commencé à courir dès que le preneur avait eu connaissance de la réduction de la surface.

Censurant cette analyse, la Cour de cassation, statuant pour la première fois sur cette question pour les manquements continus du bailleur, énonce que :

  1. La persistance du manquement du bailleur constitue un fait permettant au locataire d’exercer l’action en résiliation.
  2. Par conséquent, le délai de prescription (5 ans) court exclusivement à compter de la date à laquelle le manquement a cessé.

La Cour a jugé que l’action en résiliation n’était pas prescrite puisque la réduction de l’assiette du bien loué persistait. Tant que le bailleur ne met pas fin à l’occupation illicite des surfaces louées, la prescription ne commence pas à courir.

Portée de la décision:

Cet arrêt renforce la distinction entre l’infraction instantanée (où la prescription court dès la connaissance du fait) et l’infraction continue. En matière de baux commerciaux, il est essentiel de retenir que, face à un manquement qui se prolonge dans le temps (tel qu’un défaut de jouissance paisible ou de délivrance), aucune prescription n’est valablement opposable au locataire tant que l’infraction perdure. Ce principe accroît la protection du preneur face aux agissements persistants du bailleur.


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