Le récent Sommet pour l’action sur l’Intelligence artificielle, qui s’est tenu le 10 et le 11 février 2025 a reçu une attention particulièrement soutenue entre les promesses d’investissements massifs et d’innovation qui y ont été faites.
Un Etat des lieux de l’intelligence artificielle en santé en France a fait l’objet d’une publication officielle par le Ministère chargé de la Santé et de l’accès aux soins, afin « de mettre l’intelligence artificielle au service de la santé ».
Yannick Neuder, ministre chargé de la Santé et de l’Accès aux soins, a annoncé, à la suite du sommet, que près de 500 000 soignants seraient formés à l’intelligence artificielle à partir de septembre prochain : un financement à hauteur de 119 millions par an sur cinq ans sera consacré à la formation des professionnels de santé à l’intelligence artificielle L’annonce de ces mesures témoignent d’une volonté des pouvoirs publics de se concentrer sur le développement de l’intelligence artificielle pour accélérer la transformation numérique du secteur de la santé.
Nonobstant, peut-on se satisfaire des conditions actuelles de développement de la télésanté sur le territoire français ?
La possibilité de recourir à des actes de téléconsultation a été introduit il y a désormais 15 ans en France (décret n°2010-1229 du 19 octobre 2010 relatif à la télémédecine pris en application de la loi HPST de 2009) ; il aura cependant fallu attendre 2018 pour mettre fin au caractère expérimental de la télémédecine et faire entrer la téléconsultation dans le droit commun de l’Assurance maladie (Loi de financement de la sécurité sociale pour 2018 : ce n’est que depuis le 15 septembre 2018, les actes de téléconsultation sont ouverts à tous les patients et remboursés par l’Assurance maladie !
Au-delà des grandes annonces du Sommet pour l’action sur l’Intelligence Artificielle, le Think-Tank Télésanté & Numérique – dont notre associée Delphine Jaafar en charge de l’équipe Santé du cabinet est membre – a publié fin 2024, un an après sa création, ses premières recommandations pour une avancée concrète de la santé numérique en France.
« Les fondateurs du Think Tank ont cherché à faire mieux connaitre aux citoyens et aux patients, à l’ensemble des professionnels du numérique en santé, à toutes les professions de santé concernées, ainsi qu’aux autorités sanitaires et autres instances du monde de la santé, les innovations et réussites, en premier lieu organisationnelles et d’usages impliquant la télésanté et le numérique en santé dans le domaine des parcours de santé associant les soins distanciels et les soins présentiels au niveau d’un territoire de santé, et entrainant dans leur sillon des innovations sociales et économiques « (Dr. Pierre Simon, Co-fondateur du Think Tank Télésanté & Numérique en Santé).
Les 10 préconisations du Thnik-Tank Télésanté & Numérique :
LE PARCOURS DE SANTÉ HYBRIDE.
1ère préconisation
Les parcours de soins alternant les soins distanciels et les soins présentiels caractérisent la médecine hybride du 21ème siècle. C’est par l’alliance de la clinique et des technologies que l’organisation territoriale des soins garantira une meilleure performance dans la prise en charge des patients par une équipe de soins.
2ème préconisation
Cette médecine hybride doit reposer sur des organisations professionnelles innovantes fondées sur les compétences des différents professionnels constituant des équipes de soins de premier et de second recours au sein des multiples structures des secteurs sanitaires et médico-sociaux pour une meilleure prise en charge globale et un pilotage des parcours fondé sur la coordination des équipes de soins :
1.Les professionnels de santé libéraux en exercice isolé ou coordonné : maisons de santé pluridisciplinaires (MSP), communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS), …
2.Les établissements de santé publics et privés
3.Les structures et établissements de prévention, de diagnostic et de soins de proximité : services de soins infirmiers à domicile (SSIAD), centres de santé, sociétés de téléconsultations, structures de santé mentale et addictions, centres de protection maternelle et infantile (PMI), centres de santé sexuelle, …
4.Les établissements médico-sociaux : établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD), établissements pour personnes en situation de handicap, …
5.Les autres organisations : médecine scolaire et universitaire, médecine du travail, …
3ème préconisation
Cette médecine hybride ne peut se mettre en place qu’avec des coopérations organisées entre les différents professionnels de santé sur un territoire de santé. L’évaluation des organisations professionnelles pour des soins distanciels doit montrer, par des études contrôlées et randomisées, leur non-infériorité par rapport aux soins présentiels.
Il est recommandé par la HAS de faire participer les patients à ces évaluations en intégrant l’expérience organisationnelle telle que vécue par le patient, au cours des soins distanciels (PREMs pour Patient-Reported Expérience Measures), et ainsi que les résultats thérapeutiques obtenus par les nouvelles organisations distancielles (PROMs pour Patient-Reported Outcome Measures).
4ème préconisation
Les soins distanciels, en particulier les diverses formes de téléconsultation, doivent s’adapter au parcours de santé hybride du patient pour réussir à s’imposer comme un moyen essentiel d’assurer en toute sécurité et qualité la continuité des soins, notamment pour les patients atteints de maladies chroniques.
5ème préconisation
A cet égard, la pratique des soins distanciels, avec toutes les formes de la télésanté (téléconsultation, téléexpertise, télésurveillance, télésoin), nécessite, afin de conserver leur qualité, l’usage de Mon Espace Santé (MES), notamment le Dossier Médical Partagé (DMP). Il permet en sécurité de compléter l’interrogatoire du patient et de tracer le compte rendu de l’acte réalisé et des prescriptions faites. La disponibilité d’un dossier partagé entre les professionnels appelés à intervenir est fondamentale et son accessibilité autorisée par les patients doit être facilitée pour les médecins et autres professionnels de santé.
LA TÉLÉCONSULTATION, SON CHAMP DES POSSIBLES.
6ème préconisation
Les soins distanciels sont réalisables avec le consentement des patients préalablement informés des bénéfices et des risques de cette nouvelle organisation rendue possible par les pratiques de la télésanté. De ce fait, la téléconsultation, sous ses différentes formes, est une modalité essentielle d’exécution du soin à distance en alternance avec la consultation en face à face qui caractérise le soin présentiel.
7ème préconisation
La téléconsultation est un acte majeur du parcours de soins hybride dont le recours ne peut être ni exclusif ni limité par un pourcentage imposé à l’activité des professionnels médicaux. Seuls lesdits professionnels, eu égard au besoin des patients atteints de maladies chroniques doivent être en mesure d’en déterminer la pertinence et la fréquence pour garantir l’efficience du parcours et la bonne coordination des soins.
8ème préconisation
Le champ des possibles d’une téléconsultation recouvre plusieurs situations dans un parcours de santé:
1.La téléconsultation à l’initiative du médecin traitant, comme à celle des médecins d’autres spécialités, coopérants dans le suivi d’un patient, lorsqu’elle est jugée pertinente en alternance avec des consultations présentielles.
2.La téléconsultation accompagnée par un professionnel de santé (infirmier, pharmacien d’officine, autre professionnel autorisé), lequel assiste le patient lors de l’examen clinique à distance demandé par le médecin. Une téléexpertise préalable, initiée par le professionnel de santé auprès du médecin, notamment sur la base du raisonnement clinique infirmier], peut aider à préciser l’opportunité et la pertinence de la téléconsultation.
3.La téléconsultation à l’initiative du patient ou du citoyen est celle qui se pratique sur des plateformes organisatrices de téléconsultations. Le médecin ne connait pas le patient. Pour assurer la sécurité des patients et la prise en compte du dossier, ces téléconsultations ne devraient avoir lieu que si le demandeur accepte que le médecin ou le professionnel sollicité en première intention accède à son DMP. Ceci afin de permettre aux professionnels, qui ne connaissent pas le patient, de guider et de renforcer leur interprétation d’un interrogatoire approfondi. Les recommandations HAS et le référentiel éthique publié par la DNS doivent être respectés. Il conviendrait de promouvoir la réalisation de ce type de téléconsultation non programmée dans le cadre d’une organisation coordonnée territoriale efficiente de télémédecine, intégrée au Service d’Accès aux Soins.
4.La téléconsultation assistée d’un professionnel de santé dans une situation d’urgence repose sur une équipe mobile de télémédecine qui se déplace au domicile du patient à la demande du SAMU centre 15 ou du SAS. Situation dans laquelle l’accès au DMP, y compris en mode « bris de glace », comporte un grand intérêt, notamment sur les antécédents et les traitements en cours.
5.Un déploiement de la téléconsultation au sein des SAMU centre 15 et des services d’accès aux soins (SAS), dorénavant généralisés sur le territoire national, représenterait une avancée majeure dans la gestion des urgences médicales. La téléconsultation permettrait aux médecins régulateurs du secteur libéral de réaliser une évaluation initiale plus précise grâce à la vidéo. Ils pourraient observer directement l’état du patient, identifier des signes cliniques visibles, et mieux comprendre la situation. La téléconsultation améliorerait la précision du diagnostic et la pertinence de la réponse au regard de l’évaluation téléphonique actuelle.
6.La téléconsultation programmée en équipe de soins gériatriques offre aux résidents des établissements médico-sociaux, les plus âgés de la population française et les plus touchés par les maladies chroniques du vieillissement, une offre à des soins de premier et de second recours. Elle permet de réduire le recours à une hospitalisation qui pourrait s’avérer inutile ou perturbante pour le patient hors de son cadre habituel de vie. Plusieurs organisations professionnelles innovantes permettent une telle offre programmée, notamment les équipes mobiles territoriales de télémédecine. En situation d’urgence vitale, le régulateur hospitalier du SAMU Centre 15 utilise la télérégulation ambulancière et la visiorégulation du patient, cette dernière pratique étant exercée en équipe avec des paramédicaux (ARM, IDE) en étroite collaboration avec les CODIS. Plus largement, la téléconsultation offre aux résidents des autres établissements médico-sociaux pour personnes en situation de handicap et celles qui sont hospitalisées à domicile ou recevant des soins à domicile, des avantages similaires.
7.La téléconsultation avec des médecins spécialistes se réalise dans le cadre du parcours de soins coordonné. Hors parcours coordonné, la téléconsultation est possible pour soutenir des spécialités difficiles d’accès que sont entre autres l’ophtalmologie, la psychiatrie, la gynécologie, l’obstétrique, la dermatologie, etc.
8.La téléconsultation en prévention primaire devra impérativement se développer dans les prochaines années.
LA FORMATION DES PROFESSIONNELS DE SANTÉ
9ème préconisation
Ce champ des possibles peut être illustré par un exemple parmi d’autres, celui de la relation patient-professionnels dans un parcours de soins de maladies chroniques. La pratique hybride ouvre une perspective : celle d’un passage à des rendez-vous en présentiel qui reposent aujourd’hui sur des fréquences préétablies avec le médecin généraliste, le spécialiste et les soignants à une alternance de rendez-vous distanciels et présentiels selon l’évolution de l’état clinique et les besoins du patient s’appuyant sur un plan personnalisé de santé (PPS), que les soins distanciels et le self management soutiendront.
Il est recommandé que tout soignant souhaitant pratiquer une activité de télésanté, en particulier de téléconsultation, bénéficie d’une acculturation clinique et pratique. Cela relèvera, à terme, de la formation initiale dans les universités et instituts de la santé. Il est impératif d’y inclure les parcours de santé hybrides dans le cursus des enseignements de spécialité, afin de l’aligner sur les autres types de pratiques, de tendre à la normaliser là où elle s’affiche aujourd’hui plutôt comme une exception.
Dès à présent, pour les professionnels en exercice, cela impose de mettre en place une formation de DPC sur la base d’EPP s’appuyant sur des référentiels de nature comportementale, comme le sont les recommandations HAS, ainsi que des référentiels de la littérature scientifique tant pour le professionnel de santé que pour le patient. Une attention majeure des organisations libérales comme hospitalières doit être sollicitée à cet effet et entrer dans le cadre de la certification périodique des compétences de tous les professionnels de santé.
10ème préconisation
L’acculturation des professionnels de santé à la télésanté et au numérique en santé reste une préoccupation majeure. Le socle de référentiel de formation à la médecine à distance est actuellement centré sur le numérique et mériterait un développement de la formation clinique et sémiologique afin que l’ensemble des praticiens médicaux et paramédicaux acquière une meilleure connaissance de la médecine à distance intégrant ses contraintes Les soins distanciels nécessitent également de connaître les enjeux juridiques en termes de responsabilité du professionnel, ainsi que l’impératif d’apprendre à créer un lien de confiance et d’empathie via un média.